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Photo du rédacteurKinsley David

Grom : sur les traces de la dame de fer

Perdre un être cher, c’est perdre une partie de soi et de ressentir au plus profond de son être, un vide…difficile à combler. Il y’en a qui cherche réconfort dans les bulles et il y’en a qui comme moi, s’épanche à la plume. C’est beaucoup plus facile d’exprimer ses sympathies à un ami ou un proche éprouvé par un décès. Nous trouvons alors de grands mots ou des citations pour des discours fardés d’hypocrisie. Mais, quand la mort emporte un être qui nous est cher, c’est le sol qui s’écroule sous nos pieds. Les larmes se mêlent aux souvenirs, laissant dans nos bouches un goût amer, à tout jamais indélébile. Nous nous réveillons en sursaut au milieu de la nuit avec un besoin inexplicable d’écrire. Écrire pour combler un vide, un trou béant, avec des mots, des brouillons qui font plus d’effets que les bulles. Les jours font des semaines et les semaines font des mois. Nous faisons semblant d’être fort, d’être de ceux qui ont tout compris de la vie. Ceux qui sont rassasiés par de belles théories comme celle que tous les humains mourront certainement un jour et qu’il est préférable de mourir sereinement que de souffrir. Aujourd’hui ou demain, nous connaitrons tous le même triste sort. Mentir aux autres, rien de plus simple. Mentir à soi-même c’est se prétendre aveugle et sourd.



Les grands discours se dissipent quand nous nous retrouvons seuls avec nos souvenirs. Quand on essaie vainement de recoller les morceaux du passé, éparpillés comme des éclats de verres. Mais à quoi ça sert ? Quand notre cœur joue au bras de fer avec l’esprit. Qui des deux cédera le premier ? Le cœur se calme quand l’esprit décide de tourner la page. Malgré toute sa force, enfin toute celle qu’il prétend avoir, il ne brûlera jamais le livre. Il s’efforce à oublier, à passer à autre chose. La vie continue, dit-il à lui-même et aux autres dans le vain espoir de cacher cette souffrance qui le ronge de l’intérieur. La vie appartient aux vivants, n’est-ce pas ? Dans le livre de ses souvenirs, il met un marque-page, par peur d’oublier. Serait-il assez fort ou moins lâche pour enfin exprimer ouvertement sa souffrance ? Qu’y a-t-il de mal à pleurer ? Une chose est sûre, aussi sûr que deux et deux font quatre, des larmes seront versées dans le secret. Des larmes vite essuyées pour ne pas passer pour un faiblard. Il extrapole pour éviter de toucher le vif du sujet. Mais il faudra tôt ou tard en parler. Personne n’a envie de lire toutes ces lignes pour enfin savoir qui est mort et qui est vivant. Qui s’en est allé et qui reste malgré tout.


Elle est partie avant l’aube, le 15 décembre 2016. Notre grand-mère, oui, celle qui n’aimait pas être sous les feux des projecteurs. Discrète et très casanière, elle n’aurait certainement pas aimé qu’on parle d’elle dans un livre. Elle incarnait la force sous tous ses angles. Elle savait tout faire. Rien ne lui faisait peur, c’est plutôt ceux qui ne la connaissaient pas qui avaient peur d’elle. Elle était la preuve vivante que les apparences pourraient être trompeuses. Elle était l’être le plus gentil, le plus généreux et le plus aimant que la vie nous a donné la chance de connaître. C’est vrai qu’elle pouvait être sévère et quelques fois, un tout petit peu méchant, mais au fond, ses actions étaient toutes empreintes d’amour.


Elle protégeait sa famille, telle une lionne que même la maladie n’a jamais pu mettre en cage. Vous pouvez toucher à tout, l’argent, les choses matérielles, elle n’en avait cure. Touchez aux siens, et vous sentiriez ses griffes. Dire tout haut parfois un peu trop haut, ce que les autres pensent tout bas, c’était sa devise. Elle n’était jamais à court de mots. Impossible de la battre au scrabble. Même avec une licence en lettres, c’est toujours elle qui avait le bon mot et surtout le mot de la fin. Le dictionnaire, elle le connaissait du bout des doigts, sans l’avoir lu. Elle finissait toujours par sentir l’arnaque. Les souvenirs d’elle peuvent remplir un livre en plusieurs tomes. Ceux-ci resteront toujours gravés dans notre mémoire. Elle avait le pouvoir de nous faire éclater de rire mais aussi de temps en temps en sanglots. «Pa araz mwa», «Mo kumans plin ar twa la…..to pou gagne enn bon beze ar mwa, ar mwa zes pa marse», ce sont des mots qui résonnent toujours. Elle gardait près d’elle, une badine, pas pour l’aider à marcher mais pour « corriger notre insolence » en cas de besoin. Ces plats avaient un goût unique. Elle les faisait toujours cramer mais c’était bien ça qui faisait toute la différence. Oui, c’est bien elle qui faisait chauffer l’huile de friture bien avant avoir écaillé le poisson. Manger n’était pas ce qu’elle aimait le plus de la vie. Mettez devant elle, tous les mets les plus délicats du monde, son choix sera toujours le poisson salé. Elle m’appelait parfois au beau milieu des fonctions pour me dire: « vinn bwar dite, monn griye dipin ». Ses petites folies bien à elle vont nous manquer. Dans ce rayon-là, c’était elle la meilleure. Qui d’entre nous oserait se couper les ongles en plein office ? Elle l’a fait !



Elle a rendu son dernier souffle après une dernière prière. Très croyante, elle se tournait souvent à Dieu. Mais ce jour-là comme tous les autres jours précédant son décès, elle a supplié son Créateur de mettre un terme à sa souffrance. Celle qui voulait à tout prix vivre et qui disait haut et fort « mor twa, mo panvi mor mwa» n’en pouvait plus. Rongée par la douleur, elle ne pouvait plus se tenir à cette vie qui s’effiloche. Cette dame de fer qui a marqué notre enfance, jouait au bras de fer avec la vie. Épuisée par un combat qu’elle n’avait plus la force de mener. Pourtant, elle n’a pas baissé les bras avant ce jour fatidique. La force, elle en avait à revendre. Ce n’était pas la première fois qu’elle tombait malade. Comme, elle finissait à chaque fois par se relever, nous étions tous persuadés qu’elle allait à nouveau être sur ses pieds, de nouveau affairée à ses tâches ménagères qui n’en finissaient pas. Qu’elle serait là quand nous aurions enfin le temps de lui rendre visite. Qu’elle nous proposerait du thé et du pain grillé toujours trop beurré, les mains tremblantes et la tête toujours ailleurs. Mais en ce 15 décembre, elle était là, allongée, le visage soulagé et le corps las d’avoir trop souffert. Celle qui ne voulait pas être baignée par les regards était comme exposée dans une vitrine devant laquelle s’arrêtaient sans cesse des gens qu’elle aimait tendrement et ceux qu’elle n’aurait pas pu sentir de son vivant. Les portes de son salon, celles qu’elle gardait minutieusement fermées étaient grandes ouvertes, encore une preuve que notre chère grand-mère n’était plus de ce monde.


Nous grandissons tous trop vite et nous ne nous rendons pas compte que nos grands-parents vieillissent. Qu’ils disparaitront sans qu’on s’y attende après avoir laissé leurs traces dans notre vie. Cette prise de conscience nous l’aurons quand il sera trop tard. Nous oserons alors leur reprocher de nous n’avoir pas laissé le temps. Le temps de dire tout ce que nous ressentons pour eux. Oui, nous devrions tout dire avant, quand il est encore temps. Un jour, sans prévenir, tout s’arrête et il n’y a plus rien à dire, plus rien à prendre et plus rien à donner. Apre lamor latizann, dit-on en kreol. Cette expression prend désormais tout son sens.

Nous retenons d’elle son intransigeance absolue en matière de moralité. Les principes bibliques, elle les connaissait par cœur. Elle avait un verset de la bible pour tout et pour tout. Notre «grom» est partie mais elle restera à jamais un exemple de générosité, de fidélité, de sincérité, de moralité, de force de caractère, d’une vie sans hypocrisie…sans «kata kata ». En attendant de te revoir, nous ferons de notre mieux pour marcher dans tes pas, dans les pas d’un géant. Nous partagerons tout ce que nous avons appris de toi à tes arrières petits-enfants qui n’ont pas eu la chance de te connaître comme nous t’avons connu.

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