Madagascar : une échappée, genèse d’une connexion à l’humanité
- Kinsley David
- 21 août
- 6 min de lecture
Il est six heures.
Madagascar s’éveille, le ciel change de couleur, peu à peu s’efface le silence et sa douceur.
Les moteurs grondent, les carcasses grincent sans trêve, les bus penchés débordent d’une foule qui se lève.
De ma chambre, un rideau voile ce qui gêne, la misère en filigrane, l’île et ses chaînes.
Ici, le dépaysement est une claque en plein cœur, comme un randonneur perdu, désarmé par la peur.
La modernité serre la pauvreté dans ses bras, une étreinte étrange où chacun perd un peu de soi.
Dans les rues, les mondes se croisent sans détour, les riches et les pauvres, les heures et les jours.
Les enfants effleurent les voitures à l’arrêt, ils chantent des douleurs que nul ne saurait taire.
Je ne comprends pas leurs mots, mais leur chant me transperce, leur langue est un cri, une prière, une averse.
Les grues s’élèvent, les chantiers bourdonnent, les affiches promettent, les façades résonnent.
Banques, téléphériques, tours flambant neuves, comme un mirage d’or que l’avenir soulève.
Mais il suffit d’un pas, d’un regard de travers, pour voir que l’abondance n’arrose pas toute la terre.
La course est lancée, mais certains restent en marge, coincés à jamais sur les bords du mirage
Il fut un jour. Il fut un matin.
Premier jour à Madagascar, l’île aux mille visages à découvrir.
En plein cœur de Tana, une ville dont le cœur bat en arythmie, tantôt lente, tantôt brutale, comme un tambour fêlé qu’on essaie tant bien que mal de réparer.
Ici, les contrastes choquent :La misère enlace la modernité, et chaque recoin de rue en porte les stigmates.
Un centre commercial reluit de ses vitrines neuves, mais derrière, des bidonvilles s’effacent sous la poussière.
Des Renault 4L fatiguées croisent des bolides arrogants, et les enfants aux habits troués errent, à deux pas des fils de bureaucrates en costume et cravate.
On me dit : « Ne juge pas trop vite, Tana n’est qu’un fragment, l’île est vaste.
Elle fait deux fois la taille de la France, et bien plus diverse. »
Alors je retiens mes mots, je range mes jugements, et j’attends d’être conquis par les villages à venir.
Mais une chose déjà m’étonne : Même les aliments ont ici un goût neuf.
Le riz, les légumes, le pain, un goût de vrai, un goût de terre et de vent.
Rien à voir avec les étals de Maurice, où le frais est devenu luxe, et où le lobbying a dévoré les saisons.
Trêve de superficialité.
Je suis ici pour une cause bien plus haute, celle de ceux qu’on vend, qu’on déplace, qu’on oublie.
Contre la traite des êtres humains, pour que nos deux îles se tendent la main, et proposent des chemins d’espoir, durables et justes.
Il fut un jour. Il fut un matin. Deuxième jour.
Tana me livre chaque jour un visage différent.
Une ville vaste, immense, dont la beauté semble toujours masquée, comme un secret que l’on refuse de dire.
On me dit que le pays est riche.
Riche de nature, riche de cœur, mais cette richesse ne coule pas à flot pour tous.
Elle dort, figée, entre les mains d’une poignée.
Ceux-là mêmes qui vivent reclus dans leurs palais, derrière des murs hauts comme des silences, tandis que le peuple compte les pas entre deux espoirs.
La méfiance flotte dans l’air, les voix parlent bas, les regards glissent, prudents, car ici les trônes sont solides, et les miettes ne tombent pas toujours.
Alors certains fuient.
Ils prennent la mer, le désert, les routes incertaines.
Ils écoutent les loups déguisés en agneaux, ces vendeurs d’illusions qui promettent une terre où coulent le lait, le miel et l’oubli.
Elles sont nombreuses, ces femmes au courage tissé de chagrin, qui laissent derrière elles une famille, une maison, pour tenter l’impossible.
Elles savent les risques, mais entre la peste et le choléra, elles choisissent le possible.
Ce ne sont pas mes mots.
Ce sont ceux des combattants de l’ombre, celles et ceux qui refusent l’indifférence, qui tendent la main sans poser de question.
Non aux plus bas de l’échelle, mais à ceux qu’elle n’a même pas effleurés.
La traite des êtres humains.
C’est le mot qu’on pose, mais ce n’est qu’un sommet.
Dessous, il y a l’abîme : la pauvreté, les espoirs mort-nés, les promesses vides, et les années sans main tendue.
Ici, même les prix sont absurdes.
Il faut être millionnaire d’une monnaie sans valeur pour mener une vie simplement digne.
Et pourtant…dans cette dureté, un éclat.
Une hospitalité sans calcul, un merci venu du cœur.
Aujourd’hui, dans une maison simple, une mère a souri.
Un vrai sourire, né du chagrin, et nourri par une nouvelle : sa fille est vivante.
Elle va bien. Elle est en sécurité.
« Misaotra, misaotra, » Répète-t-elle, les larmes aux yeux.
Ses rides s’ouvrant sur une paix fragile.
Merci pour la main tendue.
Merci pour ma fille.
Que Dieu vous bénisse.
Une journée qui bouleverse, une journée qui nous rappelle pourquoi nous sommes là : pour entrouvrir une fenêtre, là où l’on a muré les portes.
Il fut un jour. Il fut un matin. Troisième jour.
Il fut un jour. Il fut un matin. Quatrième jour sur la Grande Île.
Dès les premières lueurs, Tana s’éloigne doucement derrière nous.
Mais avant de tourner la page, un dernier arrêt, un dernier coup au cœur.
Akany Avoko Ambohidratimo.
Un nom qu’on n’oublie pas.
Perché sur une colline à Ivato, un refuge, un abri, un souffle.
Ici vivent des enfants, mais pas ceux qu’on borde le soir dans des chambres pleines de rires.
Ceux-là ont été laissés, abandonnés.
Comme si pauvreté et misère n’avaient pas suffi.
On leur a enlevé les bras qui bercent, on leur a volé le droit d’être attendus.
Et pourtant… ils sourient.
Des sourires qui traversent les tempêtes.
Comment les aider ? Comment leur tendre plus qu’une main ?
Notre humanité crie : vendons tout, maison, fortune, avenir pour qu’ils aient, eux aussi, un demain.
Mais la réalité nous rappelle à l’ordre.
On ne peut pas tout, mais on peut quelque chose.
Parler. Écrire. Montrer. Faire du bruit derrière les murs d’or et de silence.
Même un murmure, dans le désert, a sa portée.
Aucune action n’est inutile.
Ici, des femmes et des hommes ont refusé de détourner les yeux.
Ils ont fait de ce centre une maison, un lieu de renaissance pour ces enfants brisés.
Ils leur apprennent à lire, à rêver, à se relever.
Ils leur rendent un futur, dans un monde qui leur avait tout repris.
Nous partons, le cœur lourd mais rempli.
Les images restent, les idées aussi.
Il faudra bien faire quelque chose.
Faire plus. Faire mieux. La mission continue.
Cap sur Ampefy.
Heures de route, virages et poussière, pour découvrir encore un autre visage de cette île aux mille vérités.
Il fut un jour. Il fut un matin. Cinquième jour à Madagascar.
Les couleurs se mélangent et dessinent une mosaïque vivante.
Entre saveurs et ferveur, la résilience de nos amis malgaches m’inspire.
Ils marchent, ils s’acharnent, ils inventent des chemins, reliés à la terre comme à une promesse ancienne.
Loin du tumulte de Tana, l’air devient pur, les esprits s’apaisent, les pas se ralentissent, et les couleurs de Madagascar se révèlent : sourires, gestes, paroles dans une langue dont la musique berce et élève.
Madagascar, c’est l’île des contrastes.
La Grande Île où les rêves se dressent malgré tout.
Où la façade cache la misère, mais où la misère ne dit jamais l’essence d’un peuple.
Un peuple se lit dans ses trésors cachés, que les regards pressés, affamés de clichés, ne pourront jamais saisir.
Pour comprendre Madagascar, il faut penser malgache, respirer malgache.
Accueillir ses épreuves pour goûter à ses richesses.
Ainsi s’achève mon escapade malgache : riche en émotions, riche en découvertes.
Je garde le positif, et la prochaine fois que l’envie de me plaindre surgira, je me rappellerai qu’à quelques heures de mon île, vit un peuple qui sourit malgré tout.
Un peuple qui, au lieu de voir rouge, a fait de cette couleur, le symbole de leur force.
Un horizon d’espérance.
Cinquième jour… puis vinrent le sixième et le septième.
Et quelque chose naquit.
Une création invisible, mais bien réelle : une connexion à l’humanité, un souffle nouveau que rien ni personne ne pourra m’enlever.
Madagascar, une échappée contrastée,
Mais surtout, une leçon de vie.
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