S’exprimer, oui, mais pas sans réflexion
- Kinsley David

- 13 juil.
- 4 min de lecture
Ces derniers jours, un nom a circulé massivement sur les réseaux sociaux mauriciens : celui de Sarvesh. Ce jeune homme, en s’exprimant publiquement sur un sujet aussi complexe que la consommation de drogues, a suscité une vive controverse. Certains de ses propos ont été interprétés comme relevant d’une lecture racialisée du problème, ce qui a attisé l’indignation collective. Ce phénomène, que l’on désigne communément sous le terme de bad buzz, nous invite à réfléchir à la manière dont nous prenons la parole en public, surtout lorsque les propos tenus touchent à des sensibilités profondes.

Il ne s’agit pas ici de revenir sur les propos incriminés, ni de jeter la pierre à quiconque. Ce texte n’a pas vocation à alimenter la polémique, mais plutôt à proposer une lecture analytique de la situation, en s’appuyant sur une perspective communicationnelle. En tant qu’enseignant en communication numérique, j’évoque régulièrement avec mes étudiants l’importance de la planification dans toute prise de parole publique. Cette récente affaire peut, à bien des égards, servir de cas d’étude pour illustrer les enjeux de communication à l’ère numérique.

La communication numérique et la sensibilité sociale
L’accessibilité à l’information et la facilité avec laquelle chacun peut réagir ou donner son avis sur les plateformes numériques ont profondément transformé notre rapport au débat public. Aujourd’hui, chacun peut devenir émetteur d’un message, potentiellement viral. Ce pouvoir nouveau implique, nécessairement, une grande responsabilité. De nombreuses générations se sont battues pour que nous puissions aujourd’hui jouir de la liberté d’expression, non pas pour blesser, mais pour élever le débat et faire progresser la société.
Dans nos sociétés, certains sujets comme la drogue, les inégalités, le communautarisme ou la violence ne sont pas anodins. Ils touchent des réalités vécues, des souffrances encore vives, et parfois même des héritages historiques douloureux. Ce sont des thématiques sensibles, marquées par des vécus, des stigmates, voire des traumas collectifs. Dans ces contextes, un mot mal choisi peut heurter, raviver des blessures, ou alimenter des divisions.

Le bad buzz : un phénomène aux conséquences réelles
Le bad buzz se produit lorsqu’une intervention publique suscite une réaction négative massive sur les réseaux sociaux. Il peut être déclenché par des propos perçus comme offensants, maladroits, ou simplement mal informés. Si l’onde de choc semble souvent brève, les conséquences peuvent, elles, s’avérer durables : atteinte à la réputation, violences verbales en ligne, voire exclusion sociale. Ce que les internautes oublient parfois, c’est que derrière chaque propos se trouve une personne réelle, qui peut être profondément affectée par le retour de flamme numérique.
Conseils pour une prise de parole responsable
Afin de prévenir de telles dérives, quelques principes fondamentaux méritent d’être rappelés :
Planifier son intervention
Toute prise de parole publique, qu’elle soit spontanée ou formelle, nécessite une préparation. Il convient de clarifier ses objectifs : souhaite-t-on informer, sensibiliser, débattre ? Le discours doit s’aligner avec cette intention.
Connaître son audience
Il est indispensable d’adapter son propos à la sensibilité de son public. À Maurice, le sujet des drogues touche toutes les familles, tous les milieux. Il est donc essentiel d’en parler avec mesure, en s’appuyant sur des données fiables et vérifiées.
Vérifier ses sources
Toute affirmation publique doit reposer sur des faits, des chiffres, ou des études crédibles. Les témoignages personnels peuvent enrichir le propos, mais ne doivent pas devenir des généralisations hâtives.
Anticiper les réactions
Une intervention réfléchie tient compte des différentes lectures possibles d’un propos. Elle intègre une vision critique et nuancée du sujet.
Savoir reconnaître ses limites
Si l’on ne maîtrise pas suffisamment une thématique, il est parfaitement légitime de laisser la parole à des personnes mieux informées, ou de s’informer en amont auprès d’experts.
Le rôle de l’animateur
Dans un cadre médiatique, la responsabilité de modérer, de reformuler ou de nuancer certaines déclarations revient aussi à l’animateur ou au journaliste. Une émission bien menée peut éviter bien des débordements.
Pour une culture de la parole constructive
Dans un monde où la liberté d’expression est précieuse, il est essentiel de ne pas la confondre avec une liberté de blesser. Les plateformes numériques peuvent et doivent rester des espaces de débat, de partage et d’apprentissage. Mais pour cela, nous devons collectivement faire preuve de rigueur, d’humilité, et surtout, d’écoute.
Il va sans dire que cette affaire soulève de nombreuses thématiques possibles : la drogue, le communautarisme, les biais dans le discours public, la responsabilité des médias, entre autres. Cependant, je choisis ici de m’en tenir à une approche axée sur les principes fondamentaux de la communication publique. Mon intention n’est pas d’alimenter la polémique, mais au contraire, de contribuer à prévenir d’éventuels débordements futurs par une réflexion apaisée.
Je tiens également à préciser que je ne cautionne en aucun cas le bullying, qu’il soit numérique ou autre. L’impact psychologique de telles pratiques peut être considérable, et il serait judicieux que des experts en psychologie sociale s’emparent de ce volet pour rappeler que l’espace numérique ne doit pas devenir un tribunal sans règle ni compassion.
Mon point de vue est avant tout académique. Il s’inscrit dans une démarche pédagogique visant à souligner que prendre la parole en public surtout à l’ère numérique suppose une certaine éthique, une conscience des enjeux, et un engagement en faveur d’un dialogue constructif.






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